Fariba Adelkhah, anthropologue et spécialiste de l'Iran au Centre d'études et de recherches internationales (CERI - Sciences Po), estime que le cas de Sakineh Mohammadi Ashtiani, condamnée à mort pour adultère et complicité d'assassinat de son mari, illustre les relations complexes en Iran entre le pouvoir central et les provinces "autonomistes".
Qu'en est-il aujourd'hui de la procédure judiciaire concernant Sakineh Mohammadi Ashtiani ?
Fariba Adelkhah : La procédure judiciaire relève d'un tribunal de première instance de la province d'Azerbaïdjan de l'Est [dans le nord-ouest de l'Iran], la décision a donc été prise de manière autonome par rapport à Téhéran. La position du pouvoir central n'a pas été respectée car selon la demande du ministre de la justice iranienne, depuis 2007, toute peine de lapidation doit être commuée en peine de pendaison. Et cela dans un pays où la peine de mort existe, ce que naturellement je déplore.
Cette affaire nous apprend donc que Téhéran ne peut pas toujours imposer son autorité et ses vues sur les décisions prises dans les provinces.
Dans certaines provinces, notamment les provinces frontalières, la loi locale, la loi familiale et la loi tribale priment sur la loi de la République. Et d'autant plus ici, où le meurtre du mari de Sakineh est doublé d'une histoire familiale : le mari assassiné et l'amant présumé sont cousins. Il ne faut pas sous-estimer la part de la vendetta dans cette affaire.
La mobilisation internationale a-t-elle été productive ou contre-productive ? Quel impact l'affaire Sakineh a-t-elle eu en Iran ?
Oui, je pense que la mobilisation internationale a été très productive pour la simple et bonne raison que la lapidation a été suspendue, et le débat sur l'application de certaines pratiques est redevenu très vif, notamment au sein des deux cercles de la défense des droits de la femme.
Il semblerait aussi que la mobilisation internationale ait accentué une situation de conflits dans le système politique iranien. Une fois la peine de mort prononcée, le pouvoir central s'est trouvé dans l'embarras à cause de la médiatisation de cette affaire. Mais il lui fallait aussi gérer les demandes émanant des particularismes locaux, et notamment la volonté d'autonomie de l'Azerbaïdjan dont on a souvent parlé ces dernières années.
En effet, depuis la révolution iranienne en 1979, on a entendu que le pouvoir central était contre la lapidation, mais c'était sans compter avec les vues du clergé, qui est aussi divisé sur la question. Et c'est bien cette situation qui est souvent utilisée par les cercles féministes et de la défense des droits de l'Homme.
Le pouvoir de Téhéran a donc plusieurs soucis : le traditionalisme de ses provinces, le conservatisme de ses clercs, et sa légitimité sur la scène internationale. Il apparaît impuissant par rapport à ces régions dans lesquelles les juges veulent être indépendants par rapport aux institutions politiques et au fait religieux. A force de vouloir se soucier de la visibilité de l'Iran sur la scène internationale, le pouvoir central cède, en étant plus flexible sur certaines lois.
Sakineh est le seul cas de lapidation sur plus de 200 en trente ans qui a créé une telle crise, et on peut espérer qu'elle soit la dernière, dans la mesure où elle semble à la fois victime mais aussi révélatrice de la radicalisation de ces conflits.
Seriez-vous optimiste quant à un changement des lois de ce genre?
Ce drame a posé de façon aigüe les rapports entre le religieux et le politique que la République islamique, paradoxalement, ne cesse de dissocier sans être en mesure de trouver entre eux un équilibre cohérent.
Et dans ce débat, c'est le statut de certaines lois islamiques qui se trouve mis en question, au grand désarroi d'une partie des clercs. Je crois qu'on peut rester modérément optimiste tant que les critères d'évaluation et de jugement sont la rationalité de certaines pratiques islamiques, leur viabilité dans le temps présent, ou encore le souci de l'image de l'Iran sur la scène internationale.
Reste que ces évolutions sont tributaires de la rivalité entre le clergé de Téhéran, dont le Guide de la Révolution a favorisé l'ascension, et celui de la ville sainte de Qom, et aussi de la difficulté que rencontre le nouveau chef du pouvoir judiciaire, Mohammad Javad Laridjani, le frère du président du Parlement, pour s'imposer à une hiérarchie cléricalo-judiciaire, plus âgée et plus expérimentée que lui-même.
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